Le cœur est assis sur un fauteuil de liège. Ses fesses moisissent de ne plus pouvoir respirer. Misérable douceur ! Assez de ces faux rêves ! Ils ne sont que des mots d’ordre !
Il se met en branle. Pas à pas, entreprend d’être une sorte d’être mouvant. Pas un homme, pas une femme. Trop décevant. Chimère ? À peine. À demi-mot. Il n’y a plus de mot pour le dire, tout mot serait justement un mot d’ordre, un traitre.
Gros comme un camion tout crachotant d’huile de moteur aux avancées saccadées et hasardeuses et aux freins douteux, il s’élance sur la voie étrange, la seule véritable, celle où il palpite d’excitation et de peur, incapable de canaliser son rythme battant enfin retrouvé.
Tambour ivre mort, il s’avance vers la mélodie vague qu’il entend mais ne décèle pas, colle son tympan à l’enceinte, le temps d’un répit amoureux, se berce, embrassant l’ailleurs.
Ici, l’espace recroquevillé s’évade à l’infini et se referme comme une féroce mâchoire universelle, brassant des trous noirs, rassemblant tous les bouts de sens sous des molaires-immeubles implacables, s’empiffrant du monde avec délectation.
L’appétit revient à l’estomac nourri de pierres. Il étend son désir au loin et, diaphanes, les anges viennent accueillir son élan fort de tripes solides. Dansant alors par centaines au milieu de cours à ciel ouvert dans des palais éternels et inviolés, les amours libres s’effilent joyeusement le long des courbes cajoleuses du temps qui les entrelace avec la tendresse de l’Amante. Aguerrie par les nuits aux conseils moites et haletants, elle insuffle sa tiédeur au cœur chavirant, parcouru d’un frisson continuel qui s’étend, loin, au-delà encore, vers le rouge sang.
Fait d’une chair nouvelle, masticable comme une langue gourmande portée au palais pour articuler les contes maudit qui trahiront sa cause, le cœur battant se malaxe en la forme torride qui conduira à sa perte : « je t’aime » et tant d’autres choses électriques. Foudroyé et comme maintenu en battement par les électrodes et leur violence, il se fait raisin de haine à mesure que sa chair se fait exsangue et sèche, que les flashs se font de plus en plus obsessionnels. Pris alors de cécité et les oreilles pendantes, il entreprend de danser sur le flux tendu de ses misères, faites de larmes et de tragédies anciennes. Il s’électrolyse au contact d’un écran, d’une machine concrète, lumineuse et rapide et s’envole, de lieu en lieu, mots et images défilant, carnavalesques. Et dans ce grand chaos, il pressent une nouvelle forme, celle que cherchent tous les amants au travers de la folie obsessionnelle : l’image dernière qui synthétisera la vigueur et la paix, vision d’absolue vécue en permanence. Faut-il mentionner ce vieux catalogue où on nous fit entrevoir Dieu, ces vieux dires d’amoureux partis dans le désert pour avoir été trop envoutés de tout ?
Au cœur de la tempête il n’existe qu’une voix capable de tenir tête en dansant au vacarme des assiettes fracassées : un enfant espiègle qui bat du tambour au centre chaud. Il existe donc une caverne imaginaire ? Eh oui ! Elle existe toujours ! Mais quelles notes ? Quelles notes pourront bien te rappeler qu’il existe, ce gosse qui vient de naitre et qui renait à chaque seconde et qui n’a que faire de ce monde que tu t’es construit, cette ange sans Dieu qui arrive sur une terre pleine de batailles. Pense à lui, à toi, comme à un fils qui viendrait au monde innocent et pur à chaque seconde : ne corromps pas tes prochaines secondes, tes prochains jours, tes prochains mois à vivre !
Battant du tambour, l’espiègle joue et gigote insolemment pour se plaire à lui même. Une colonie d’espiègles renverse tous les systèmes. Et l’amour n’y a même plus de nom tant ils sont libres.