Entre les jambes écartées d’une femme au teint de sel, d’étranges picotements se font sentir. Quand le soleil se couche, les hommes sortent de leur grotte et saignent, hagards, dans les veines suintantes du monde. Crevé jusqu’à la moelle, un vieillard avance péniblement, canne à la main. Une touffe de poils blanchâtres dans chaque narine, les yeux mi-clos, sans dent… Ce matin, il a rendez-vous avec la Lune noire. Ses pas trainants font halte devant un gros bâtiment gris, menaçant, avec ses fenêtres sans vitre, mille trous béants de rat crevé, la poussière qui s’en échappe a des relents de mort. Papi tourne la tête, avec peine, et fixe l’entrée sans mot dire. La bâtiment laisse échapper un rauque de baryton, le vieux sursaute. Il crispe ses doigts noueux sur le pommeaux tête de cygne de sa canne et se dirige vers l’entrée. De l’unique lampadaire grésillant, planté sur son chemin telle une pièce d’échiquier perdue, s’envole un nuage gras d’insectes damnés et condamnés à l’égarement. Désespéré, le nuage crépite et saigne, s’envolant plus loin en décrivant de larges cercles désordonnés. Rassemblant le peu d’énergie qu’il lui reste, le vieil homme franchit les quelques mètres qui le séparent de l’entrée et pénètre à l’intérieur.
Je mange ici des débris de soleil et fourre ma tête dans une cagoule en laine, effilochée. Les veines de mon cou se transforment en vers de terre; paniqués, ils se tordent de frousse sous le regard brulant du maître de ces lieux. Mille ans se sont écoulés sur ma peau, qui demain ne sera que poussière, j’accuse le Temps d’avoir triché. Ma fille est morte en couche, mes femmes broyées par le chagrin. J’erre dans les limbes sans but, condamné à l’ennui. J’ai dépecé plus d’hirondelles qu’un ogre de mômes tremblants. Mon dos n’est plus qu’une planche de bois transpercée d’épines et mes genoux saignent à grosses larmes. Délivrez-moi !
« Malheur à celui qui convoite la Mort, susurre une voix métallique. Il risque de se réveiller. »
Le vieux crache un caillot mousseux qui vient finir sa course au fond de sa conscience.
Il s’accroupit, les yeux rivés sur la femme sans visage qui tend son bras vers lui.
Percussions ancestrales, cordes pincées avec vigueur, voix épicées entêtantes, Khonnar a tout d’un rituel de mort proféré depuis la fin des Temps.