« La marée me suit, songea t elle. Je peux la voir qui me rattrape sous l’arbre où je msuis allongée, ce matin. »
Elle sauta par dessus la haie, et les épines de quelques ronces lui tailladèrent les bras. Les galères lui collaient à la peau depuis toujours, giclée visqueuse sur pâte feuilletée, et ce n’était pas la mort récente de son chien qui allait l’aider à sortir de là. D’ailleurs, où était elle ? Des troncs ténèbres et gras l’entouraient, menaçants. Elle porta une main à son visage. Un filet de sang dégoulinait de sa narine. La dernière trace lui avait déchiré les muqueuses, hors de question de resniffer dans cet état. Elle s’accroupit à l’ombre d’une fougère, tournant le dos aux arbres malfaisants. Palpant les multiples poches qui parsemaient sa veste, elle finit par trouver ce qu’elle cherchait. Un petit tube bleu, acid’électrique, qu’elle tint entre deux doigts, à quelques centimètres de son visage.
– Autour de nous les goinfres se lèchent d’argent et de pouvoir –
AU DIABLE LES UTOPIES !
Elle croqua avidement la moitié du bleu à lèvres. Puis, en pleine montée, sortit un petit livre corné de son sac et alla se percher sur une branche bien grasse d’un de ces arbres qui, quelques instants plus tôt, lui avaient fichu la trouille.

AdolescenZ
l’ado fait le con, fait la guerre et fait l’amour. Le reste ça sfait pas.-
Caresse moi !
Ou va niquer te mère
Je suis peinard ici, bien tranquille. Mon ordi, ma connexion, mon lit défait et les cadavres de mouches bleues sur le rebord de fenêtre. On dirait qu’elles attendent quelque chose. Mais y s’passe jamais rien. On m’casse tellement les couilles avec mes notes que j’ai même plus la force de bander. Je geek comme un taré, dans les mondes vomis par mes ancêtres, pour oublier qu’un jour, on était mille sur le chemin de l’école.

Pour que la nuit cache les défauts de mon âme, j’exhibe sans cesse les défauts de mon corps.
Insta-pute comme douce comptine du soir.
Comment se battre contre un ennemi qui n’a même pas de jambes ?
Les vas et vient de ses doigts me rappellent ceux de l’archer de mon violon sur mes cordes sensibles. Le feu au cul, j’enterre l’Ennui à coups de hanches et de *fella fella* tion. Si j’avale de travers, c’est que l’espace se tord et gronde et fuit, et la 4g palpite et crypte et saute comme un putain de faon.

Hirsute est la dune virtuelle que je tente de gravir – mes jambes se prennent dans les longs câbles de son épiderme, je suis hantée par les échos – mon être ploie.

Comme il fait chaud !
je me sens incomplète

Genoux à terre, au beau milieu des chiottes du lycée, j’attends le suivant.
Mes parents m’ont offert un appareil photo à Noel.
J’ouvre grand la bouche, cauchemar du monde des origines, langue qui claque en rythme sur la chair au goût de nuit.
Ils vont aussi m’aider à payer mon permis.
J’essuie mes lèvres du dos de la main. Au fond de la pièce une rangée de lavabos en marbre semblent tenir un conseil de discipline.
Je dresse mon majeur dans leur direction et recrache une galaxie blanche sur le miroir le plus proche.
Adam essuie le bout de son Tpex à l’aide d’un mouchoir brodé.
Tendres coutures luisantes bichonnées par sa grand-mère, au coin du feu.
Du bout des lèvres, il tire une latte et cale confortablement son dos dans son fauteuil.

J’ai crucifié ma foi, lors de mon premier tour sur Youporn, à 13ans. Depuis, j’enchaîne les filles comme un petit parasite les esprits saints.
Mince alors !
Ceci est ton corps.
Ramolli par les flots, tiède et parfumé, j’en ferai mon autel, une grotte aménagée où je prierai pour le salut de nos âmes.
Y’a teuf ce week-end…
Tous et toutes, écartent les cuisses lorsque j’approche.
Moise, Abraham,
Hacker des corps électriques,
Montrez-moi la voie !

Sur la banquette arrière, ça renifle sec. Une armée de tubes mous jonchent le sol, pèle-mêle, des traces de pieds ont entaché le cuir des sièges chauffants.
J’ai plus de fois frôlé la mort que câliné mon propre enfant. A quatre pattes dans mon estomac, je l’ai croqué à la naissance, pour me donner un peu plus de temps.
Les gens, autour de moi crépitent et saignent, rongés par les souvenirs.
J’encule le monde réel, moins fun et colloré qu’Azeroth,
DANS TES DENTS !
Elles tombent en bourdonnant, donc j’en profite pour m’admirer.

Pour pas mourir d’ennui, on s’est regroupé au salon. L’enceinte connectée crache ses poumons BOOOM BOOOOM BOOOOOOOM
Le garçon aux instruments de bois se fait marave par les grosses basses, la came dégouline des narines qui palpitent, les crânes se mangent, de l’intérieur.
On tient jusqu’au bout de la nuit sans une pensée pour celle d’après.
Sous mes yeux humides et clairs, des cernes noires creusent ma chair comme autant de vers affamés, le trognon tendre d’une pomme gâtée.
J’entends un rire de femme.
Grinçant et métallique,
j’aimerais me réveiller pleinement, mais ton âme m’en empêche.
Je te suivrai jusqu’à la mort – la ligne bien droite demeure.
Sous ma peau, les vestiges d’une enfance fruitée me permettent de garder la tête hors de l’eau, je prends appui en faisant attention de ne rien abîmer.
Je gerbe au pied d’un sapin blanc.
Un regard mou prolonge le tire d’artillerie. Mes joues, criblées de balles, laissent transpirer l’âpre liquide pour lequel j’ai vendu mes Van’s.
Quant à mes rêves, ils servent de torche-cul à mes bourreaux.
Il n’y a plus rien, entre le ciel et mon Enfer.
Des enfants de choeur, à la rigueur, qui se tiennent tout au bord du bloc, souriant aux flèches enflammées qui fendent les airs dans leur direction.
Transmigration des âmes : ON S EST FAIT BLOUSER !
Mais, comme la plupart de mes potes, je fais comme si de rien n’était.
J’ai pas besoin de dessin pour m’y retrouver.
En quête de sueur, intoxiqué au son, j’achète un saxophone de bois pour que tu puisses y poser tes lèvres et composer mon oraison.
J’suis un fou, j’suis un branleur,
j’avale en rigolant
AdolescenZ glisse des mains de celle qui s’était allongée sous les branchages. Son corps ne remue plus, les années passent dessus avec tendresse, l’enveloppant dans une couette aux lignes d’or.

Un millénaire plus tard

La Lune tend ses mains vers la fille morte et d’un doigt translucide écarte ses lèvres bleues. Des l’espace crée surgit mollement un petit loup crypté, aux aboiement aigus. L’animal s’élance vers les épaules du cadavre et se tient l’échine droite, tout au bord, en hurlant.

 

Biotoputopie d’un autre monde, AdolescenZ a broyé et excité mon âme. C’est bien la première fois que j’écris à propos d’un livre, justement parce que ça n’en est pas un. Mon exemplaire a tourné entre mille mains lors d’une Rave immense, si bien que les pages sont à présent noircies et déchirées. Et je le vois, l’ouvrage, frémir de contentement. Poésie éclatée, essai philosophique fini au foutre, autant de raisons de ne pas perdre espoir, (mention spéciale à la page 21, immense) autant de raisons de continuer à écrire, furieusement, et de s’enivrer de tout ce qui, aux frontières du réel, nous permet à nous tous de survivre.

Ouvrage dispo ici : Caméras Animales