Les mains crispées sur ses baguettes, Andrew s’entraine derrière la bête, plein d’espoir. La caméra, posée plus loin, dans le corridor, observe. Puis se déplace, avalant goulument la distance qui la sépare du
jeune musicien… Fletcher surgit alors dans l’espace musical du gamin, chamboulant son sobre quotidien à coups de baffes, d’invectives, de hurlements . Au fil des minutes qui s’égrainent sur fond de Jazz entêtant, le dominant prend peu à peu ses aises, gagnant du terrain, tandis que le batteur paye de son sang une place qu’il tente de conquérir, par tous les moyens.. Le film s’articule autour de paires, constamment en conflit, et l’objectif se plait à les provoquer, modulant l’espace à sa guise, bousculant les êtres à grand renfort de mouvements imprégnés d’audace. L’austérité des décors détone avec la frénésie contenue dans les cadres, invisible et palpable tourbillon d’émotions, oiseau rythmique dont les ailes semblent avoir essuyé d’innombrables tempêtes musicales, et qui jamais ne se pose.
Abandonnant les effets grossiers à l’extérieur du conservatoire, Damien Chazelle pénètre en ce lieu à l’haleine opaque et talentueuse, la silhouette couverte de déférence, l’objectif grand’ouvert , avide
d’harmonie
Les traits tendus du visage d’Andrew vibrent sous les coups de cravache, et sur ses joues dégoulinantes s’esquissent les traces écarlates d’un effort surhumain, d’une fièvre contagieuse : éventrant d’un coup de
poing rageur la peau d’un tambour épuisé , le musicien transcende les codes pour ensuite s’engouffrer sur des portées délestées de toute contrainte, baignant son âme tout entière dans un magma de talent pur.
Au détour d’un contretemps , une Clef de Sol furibonde croise le fer avec deux baguettes malmenées par le prodige en transe qui, du plus profond de son être, remercie son bourreau.