Mommy
Xavier Dolan – 2014
D’or et de miel sont ses cheveux dans lesquels je passe une main tremblante, malgré mes efforts pour contenir mon trouble. Couché sous une voûte criblée de loupiotes, son corps imprime un doux parfum de vanille sur les draps qui hument et mordillent des petits bouts de songe. Cet ange pétri de ma chair répond au nom de Steve, langue écrasée contre les dents du haut qui claquent lorsque je l’appelle, lèvre inférieure frôlée amoureusement lorsque je le chuchote. C’est mon sang, épais comme de la lave, qui s’écoule dans ses veines et le fait vivre, remuer, flamboyer. Sa force tourne sur elle-même, portée par des accès de rage terribles, à la manière d’un fauve en cage dont le corps serait parcouru de flux électriques incontrôlables: mon môme est infini. L’aimer revient à s’injecter de minuscules bulles d’air dans le coeur et à boulotter des poussière d’Arsenic chaque fois que l’on croise son regard fondant. Je me noie en sa présence, j’étouffe lorsqu’il me manque et ma peau roussit légèrement au contact de ses mains d’enfant. Il me tue, à petit feu.
N’écoute que lui et luit et bouillonne comme un astre dont la carcasse crépite à en perforer l’Univers de son incandescence, je tourbillonne autour de sa corolle de feu, jouant mon rôle de satellite maternelle comme un manche, déviant souvent de ma trajectoire. Mais mon astéroïde de fils a, il y peu, croisé une planète dont l’attraction détient le pouvoir de calmer ses coups d’éclat : Kyla. Elle s’est pointée dans nos vies à pas de velours, drapée d’une étoffe cousue de discrétion, la bouille éclairée d’un amour liquide à goûter du bout de la langue. Les mots qui se bousculent à la frontière de ses lèvres émergent en trébuchant de sa bouche puis flottent vers nous, laissant leurs carcasses fondre contre notre peau meurtrie ; ils y apposent des pansements d’or inespérés. Avec elle, notre raison d’être renaît de ses cendres, l’équilibre est rétabli. Pourtant, ça ne va pas durer. Je sais que le Temps se plait à dévorer mes os, à les broyer sous ses molaires expertes et qu’il adore baver dans mon sang qui coagule; ma sueur a comme un gout de cuivre, mes larmes sont vermeilles. Je caresse une fois encore l’arrête de sa mâchoire bien dessinée puis me redresse, la vue brouillée de flotte, je me fous bien de ce qu’ils pensent, tous, il va falloir les démonter et les confondre, tous ces sceptiques sans âmes, qui semblent perpétuellement ailleurs. Ont-ils conscience de ce qui nous lie, de notre force? J’irai la confronter aux boutades, à la haine et aux jalousies, je brandirai mon poing aux doigts vernis en direction de Dieu, connard, et j’hisserai mon majeur afin que tous ressentent le frisson de l’errance au plus profond de leurs chairs.
Mon môme est à mon image. Brûle tout ce qu’il traverse et fonce droit sur un mur de glace qu’il sera difficile de briser.
Les grilles se referment sur ma trachée comme un étau, mon coeur s’emballe,
mon Prince, mon Prince!
debout sur ta planche à roulettes tu es si fier et libre de tout mépris,
mais moi, gonflée d’orgueil, en te laissant partir, je crois avoir brisé tes rêves
coupé ta trajectoire à coups de couteaux dans les veines
mon Prince, mon Roi,
je t’en supplie, pardonne à celle qui se meurt d’amour pour toi..