Ils sont si nombreux, les hommes sans ombre, à ne pas laisser de traces.. Ils naissent en quelque suffocant pays, dans l’indifférence la plus totale, et meurent insolemment sans faire de remous. Et sur leur pierre tombale, gravé entre ces deux dates immuables , baignées de poussière, un néant chouchouté. La peau creusée par l’épais burin du quotidien monotone, ils se traînent dans les rues décortiquées de la ville, d’une ville, de toutes les villes. Leurs épaules sont voûtées, comme attirées par la Terre sèche, et sous leurs chemises trempées de sueur, on devine aisément quelques restes de muscles ratatinés, autrefois saillants et fanfarons, désirés par des mains de femmes. Cet état là renifle bon l’alcool, la poudre et la stupeur. Cow-boys déchus, montant de grosses bagnoles rugissantes, prêts à plomber n’importe quel gus osant troubler la léthargie ambiante. Si la loi le permet, je suis dans mon droit, mes ancêtres se sont battus, pour ça. Et je trimballe contre mon coeur , enveloppé dans plusieurs couches de graisse de viande, mon plus fidèle ami, que j’astique plus souvent que je n’embrasse ma femme, eh ouais, t’as intérêt à pas l’ouvrir, je n’hésiterai pas une seule seconde à tirer.
Ces Cow-boys en toc élevés à la bêtise, qui se révèlent très vite camper la caricature de leurs propres troupeaux, ne peuvent que péter un plomb, vu le contexte dans lequel ils pataugent : gagnées à coups de haches et de Comanches troués, leurs terres immenses et hantées, étalent à perte de vue et sous une franche lumière, leur responsabilité. Cette Liberté infinie colle un sacré vertige, il vaut mieux, pour stopper la nausée, courir s’enfermer au Casino du coin, où thunes et putains sont à portée d’ongles.
Comancheria possède cette force tranquille de chef Indien dont chaque mouvement a un impact monstre, prenant son temps, sachant s’imprégner de ce qui l’entoure. Imbibés de tristesse, les plans enchaînent l’inquiétant constat d’un homme ne reconnaissant plus ses terres, à la fois tenté de continuer d’y vivre mais brûlant d’une envie de dézinguer l’équilibre périmé qui y règne depuis des siècles, à moitié effacé, à la manière d’une antique photo sépia couverte de cendres d’indiens, malmenée par des années de sécheresse et de rancœur partagées.