Ce film est gris comme l’arrière de ton crâne, 70 piges après ta renaissance –
Ils échangent leurs manteaux comme des peaux d’animaux, se pourchassent et se mordent les chairs sous l’oeil glacé de l’éléphant. Le pachyderme reste immobile, assis, puisque la vie ne vaut rien. Le ciel pèse, de tout son poids, sur les épaules des pauvres bougres aux âges incertains, qui errent, presque à l’aveuglette. Le dernier refuge, à cette angoisse existentielle et à ce gouffre vide de sens, est l’Ailleurs. Et puisque le sort s’acharne, de toutes ses forces, Violence déboule avec ferveur. Elle s’immisce dans tous les coeurs, sur toutes les phalanges. Alors les Hommes meurent, dignement. L’espace est parcouru de frissons, le Temps a le front moite. D’aucun n’est capable de stopper les rouages de cette machine qui nous gouverne tous. Et dans ce zoo pollué, amer et dégueulasse, la caméra se traîne, à la manière d’un chien bâtard, d’un corps à l’autre, sans se presser, humant le désespoir, l’écume aux lèvres.
J’insiste sur un point : le film est laid. La plupart des plans ne cherchent pas à magnifier l’espace ni à en foutre plein les yeux. Mais qu’est ce qu’ils accrochent mon être avec leur profondeur. Toujours le personnage central au premier plan, comme si l’autre n’était qu’un vague cauchemar aux lignes troubles. Toujours cette économie de paroles, car l’essentiel se joue à l’intérieur. Entre les parois du crâne, entre les artères mouillées, contre le coeur rebelle du garçon, derrière les paumes chaudes du vieil homme.
Il est encore trop tôt pour mourir.
La journée, interminable, les mâche avec lenteur.
Et quand enfin, un petit groupe s’échappe, la nuit s’abat comme un rideau, ouvrant d’une main experte la cage aux fauves.
An Elephant Sitting Still se vit et se digère au rythme de l’âme troublée, lentement.
Je crois bien qu’au fond, l’éléphant c’est moi, c’est nous, assis face à notre propre impuissance, qui, un jour ou l’autre, nous rendra fou.